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La Suède freine sur la prise en charge des transsexuels mineurs

Par Alma Cohen, AFP

STOCKHOLMPourtant premier pays à avoir reconnu la transidentité, la Suède a limité ces derniers mois l’accès aux traitements hormonaux de changement de genre pour les mineurs. Cette décision illustre le malaise des autorités du monde occidental sur cette question sensible.

Risque d’ignorer les souffrances de la “dysphorie de genre” contre principe de précaution médicale: le débat émerge alors que les demandes de transition, elles, s’envolent.

Après avoir décidé l’an dernier de suspendre ces traitements hors rares exceptions, la principale autorité sanitaire du pays scandinave, Socialstyrelsen, vient de drastiquement restreindre le recours à l’ablation des seins chez les adolescentes.

“Comme pour les recommandations sur les traitements hormonaux présentés plus tôt, l’état incertain des connaissances incite à la prudence”, a souligné dans un communiqué Thomas Lindén, chef de département à Socialstyrelsen.

La Suède freine sur la prise en charge des transsexuels mineurs

Surreprésentation féminine


Comme de nombreux pays occidentaux, la Suède connaît depuis une dizaine d’années une très forte hausse des diagnostics de dysphorie de genre, une souffrance liée à l’inadéquation entre le genre ressenti et celui de naissance. Selon Socialstyrelsen, environ 8900 personnes ont été diagnostiquées avec une dysphorie de genre en Suède entre 1998 et 2021.

Pour la seule année 2021, le pays a enregistré environ 820 nouveaux cas. Cette tendance est particulièrement visible chez les 13-17 ans nés de sexe féminin, avec une hausse de 1500% depuis 2008.

“C’était avant tout un phénomène masculin et maintenant il y a une forte surreprésentation féminine”, explique à l’AFP le psychiatre Mikael Landén. Pour ce médecin en chef à l’hôpital de Sahlgrenska à Göteborg, qui a contribué à l’étude scientifique sur laquelle s’est fondée l’autorité sanitaire, les raisons restent largement un “mystère”.

Une société plus tolérante? “La tolérance est élevée en Suède depuis au moins ces 25 dernières années, donc, on ne peut pas dire cela a changé”, affirme-t-il.

Débat occidental

Les profils, note-t-il, sont souvent plus complexes, combinant d’autres diagnostics comme des troubles de l’attention, alimentaires ou du spectre autistique. En mai 2021, devançant une décision des autorités, le prestigieux hôpital Karolinska de Stockholm, plus grand établissement de Suède, a choisi de limiter les traitements hormonaux – comme la testostérone – à la seule recherche de traitements hormonaux.

Cette décision a été remarquée à l’étranger, où l’on fait face aux mêmes questionnements. La Finlande a pris une décision similaire en 2020. En France, l’académie de médecine a appelé à “une grande prudence médicale” dans le traitement des jeunes patients et “à la plus grande réserve” sur les traitements hormonaux.

Au Royaume-Uni, un cas retentissant a mis la question sur le devant de la scène. Regrettant sa transition de femme à homme, Keira Bell a déposé une plainte en 2020 contre l’organisme public chargé des cas de dysphorie de genre, lui reprochant d’avoir été trop jeune pour suivre ces traitements. Un procès finalement perdu.

Associations inquiètes

Le coup de frein suédois est d’autant plus notable que le pays a été le premier au monde, dès 1972, à autoriser le changement juridique de genre, ouvrant la voie à une prise en charge par la sécurité sociale de la chirurgie de réassignation sexuelle.

Pour Elias Fjellander, président de la branche jeunesse de RFSL, la principale organisation LBGT+ du pays, la Suède risque en tardant de multiplier les cas encore plus douloureux. “Ces personnes pourraient avoir besoin de plus de soins et de procédures invasives à l’avenir, parce que la décision n’a pas pu être prise plus tôt, même si le besoin médical était bien présent”, affirme-t-il.

“Je crois que les hormones sauvent beaucoup de personnes”, abonde Antonia Lindholm, une Suédoise de 20 ans, née garçon, qui a débuté sa transition à l’adolescence. “Si j’avais 13 ans aujourd’hui, je n’aurais aucune chance” d’avoir ce traitement, confie-t-elle à l’AFP.

Mais d’autres personnes ayant fait l’expérience d’une transition hormonale soutiennent la décision suédoise. Mikael Kruse, 36 ans, a changé de genre à la fin de la vingtaine puis a finalement “détransitionné”. “Je pense que faire une pause pour comprendre ce qui se passe est une bonne chose”, explique-t-il à l’AFP.

La souffrance reste

Pendant sept ans, ce Suédois a vécu en tant que femme sans que cela n’estompe son mal-être. Un nouveau diagnostic a révélé qu’il souffrait du syndrome autistique d’Asperger et de troubles de l’attention. La souffrance qu’il pensait être liée au genre venait donc d’ailleurs et il décide finalement de redevenir homme.


Pour Carolina Jemsby, coréalisatrice du documentaire The Trans Train (2019), qui avait soulevé la question de la prise en charge des enfants et des adolescents, le débat actuel montre qu’il est “plus complexe que ce que le système de santé et la société avaient espéré”.

“Un des aspects de ce dilemme est qu’il est devenu un sujet politique”, dit-elle à l’AFP. “Cela ne rend pas service à ce groupe qui a besoin de soins médicaux prouvés scientifiquement pour les aider et leur donner une vie meilleure et une meilleure capacité à vivre qui ils sont”.

Le 12 février 2023. Source : Keystone-ATS (Romanvie.ch est client de l’agence). Crédits photos: Adobe Stock, Pixabay

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Observação da redação: este artigo foi modificado em 14.02.2023

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