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Pas que « Le Matin », un empire médiatique brésilien au bord du gouffre

SÃO PAULOEn Suisse romande, on connaît tous la fermeture du magazine « L’Hebdo » et de la version papier du journal « Le Matin » (semaine), sans compter la faillite récente de Publicitas. Dans d’autres régions du monde, y compris dans un pays 100 fois plus peuplé que la Suisse romande, le Brésil avec ses plus de 200 millions d’habitants, la situation est tout autant dramatique. En effet, le puissant groupe de média brésilien basé à São Paulo Abril (Abril Communicações pour être précis) qui édite notamment le magazine Veja est au bord du gouffre et a été placé à la mi-août 2018 en récupération judiciaire. Un système dans le droit brésilien qui permet de négocier avec les créditeurs les dettes. Car le montant de la dette est très élevé, 1,6 milliards de reais ou environ 400 millions de francs suisses. Certaines sources estiment même que le montant de la dette pourrait être bien plus élevé. 


Entrée d’une société spécialisée en redressement d’entreprise


La situation financière était tellement grave qu’au mois d’août la famille actionnaire qui contrôle le groupe a cédé sa place à une société spécialisée dans le redressement d’entreprise, le cabinet américain Alvarez & Marsal. Pour citer quelques chiffres, en 2017 le chiffre d’affaires du groupe Abril était de 978 millions de reais (environ 250 millions de francs) mais avec une perte gigantesque de 332 millions de reais, soit plus de 30% du chiffre d’affaires. Le cabinet Alvarez & Marsal a procédé à un licenciement massif menant au départ de 800 personnes. Il reste désormais, selon Veja, 3000 employés à plein temps dans le groupe de média brésilien. Le cabinet d’origine américaine a aussi fermé 9 titres (magazines) pour conserver les marques les plus connues comme Veja, Exame, Superinteressante, etc.

Média conservateur et libéral 

Le groupe Abril édite notamment Veja, un puissant et influent magazine brésilien tirant à plus d’un million d’exemplaires conservateur et libéral sur l’économie mais progressiste sur les thèmes de société, en Suisse il serait proche d’un journal comme la NZZ. Ces dernières années Veja a fait pression pour que le gouvernement Lula puis Dilma Rousseff soit remplacé par des politiciens plus à droite. Sur les sites Internet de la gauche brésilienne, Veja est détesté et les internautes relèvent que malgré un gouvernement désormais conservateur, la situation ne s’est pas améliorée. La cause est donc à chercher ailleurs aux années socialistes du Brésil. Le mal est peut-être plutôt du côté du grand voisin du nord.

Raisons de la crise… Google et Facebook 

Il y a probablement eu des erreurs de gestion et de stratégie. Il y a plusieurs années, le groupe avait tenté une aventure à la télévision (MTV Brésil) qui n’avait pas donné les résultats financiers désirés.
Le magazine Veja qui tire à plus d’un million d’exemplaires mais avec des centaines de milliers d’exemplaires distribués gratuitement dans des écoles (et donc probablement non lus) a aussi contribué à ne pas rassurer le marché publicitaire. Mais la raison principale est la chute drastique des revenus publicitaires dans ses différents magazines, toujours plus siphonnés par les deux géants américains de la Silicon Valley soit Google (avec aussi YouTube) et Facebook (avec Instagram) qui font perdre d’importantes pertes de marché à la presse écrite. Malgré des dizaines de millions de visiteurs par mois (voir sur Similarweb) sur les sites du groupe April, la publicité online est incapable de payer les centaines de journalistes travaillant pour les différents médias. Le business model est tout simplement cassé. Les prochains mois diront si l’entreprise arrivera à se relever de cette dette gigantesque qui consomme le cash-flow. Le 17 août 2018, dernière date de sortie de Veja lors de l’écriture de cet article, le magazine de la semaine qui comptait 104 pages était de bonne qualité avec des sujets intéressants.

Autres médias au Brésil

Au Brésil les autres grands médias semblent aller un peu mieux. On peut citer la surpuissante TV Globo qui se maintient bien probablement à cause de son rôle de leader et de ses audiences records (elle estime que 100 millions de Brésiliens regardent la TV Globo chaque jour) ou encore la TV Record liée à une très influente église (Eglise Universelle du Royaume de Dieu) qui arrive aussi bien se maintenir avec notamment un business model un peu différent et des novelas sur la Bible touchant les environ 40% d’évangéliques que compte désormais le Brésil. Une autre chaîne de TV, la SBT, se maintient bien aussi grâce au génie de son propriétaire Silvio Santos âgé de plus de 80 ans qui a réussi à se diversifier notamment dans des jeux d’argent (style loto) et des cosmétiques. Finalement, la TV Bandeirantes souffre elle aussi de la crise et cette année a dû licencier des centaines de personnes. Dans les médias écrits, la Folha de S.Paulo devrait arriver à survivre en particulier à cause de son rôle de journal de référence et car son propriétaire a fait fortune avec une entreprise de payement online cotée à Wall Street.

Modèle français ?

Bref, la morale de l’histoire est peut-être – sauf pour les leaders absolus comme la TV Globo – d’avoir des revenus annexes permettant de renflouer les caisses (vides) des médias. Peut-être que « le modèle français », avec plusieurs milliardaires qui ont fait fortune dans d’autres domaines que les médias (ex. luxe, aéronautique, télécom) comme propriétaire ou aux Etats-Unis avec Jeff Bezos pour le Washington Post, est le seul moyen viable pour éviter la faillite des médias privés et garantir à long terme le succès de ces médias si important dans toute démocratie qui se respecte. Le GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) continue à révolutionner le monde, en tout cas l’Occident (Europe et Amériques) à un rythme incroyable et parfois mortel comme avec « L’Hebdo ».

Le 20 août 2018 (version 1.2 à 03h18). Par Xavier Gruffat. Sources : Folha de S.Paulo (plusieurs éditions), Veja (édition du 22 août 2018), Similarweb, Médialogue (émission de la RTS).

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Observação da redação: este artigo foi modificado em 20.08.2018

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